Études et inventaires de terrain

A la découverte du phénomène de swarming chez les chauves-souris

Publié le 17 septembre 2024 par Ludivine Leite

Les chauves-souris sont des mammifères au cycle de vie étonnant. En France, les espèces hibernent en hiver, comme les hérissons, et élèvent leurs jeunes l’été. Cependant, une caractéristique surprenante leur est propre : l’ovo-fécondation différée. Késako ? Cela signifie que les chauves-souris s’accouplent avant la période d’hibernation (en été et en automne), puis conservent les spermatozoïdes avant une fécondation à leur réveil au printemps. Il existe une exception pour le Minioptère de Schreiber qui réalisent la fécondation immédiatement après l’accouplement et implantent l’embryon au printemps. Ce phénomène se nomme l’ovo-implantation différée, également pratiquée par les chevreuils et les fouines.

Schéma cycle de vie des chiroptères

C’est dans ce contexte qu’un certain nombre d’espèces réalise un phénomène tout à fait remarquable : le Swarming.

Que veut dire swarming ?

Le swarming provient de l’anglais swarm qui peut se traduire par essaim. Un des termes français pour décrire ce phénomène est « regroupements automnaux ». Il s’agit donc d’un regroupement de chauves-souris au même endroit, pouvant aller jusqu’à des centaines d’individus, allant de la fin de l’été au début de l’automne.

Depuis quand ce phénomène est-il connu ?

Les regroupements automnaux sont étudiés et définis historiquement par l’américain M.B. Fenton en 1969. Ce dernier le définit alors comme un phénomène pouvant se décrire par des rassemblements de plusieurs centaines d’individus, de plusieurs espèces sur un même site (majoritairement dans des cavités), à la fin de l’été et au début de l’automne.

Il faut attendre les années 80 pour voir une description du phénomène principalement au Royaume-Unis et en Suisse.

En France, c’est au début des Années 2000 que le swarming commence à être étudié.

Malgré cette définition de plus de 50 ans et 20 ans sur notre territoire, il est encore difficile de définir en totalité ce phénomène.

Oreillard roux © Jasja DEKKER

Durant quelle période de l’année et de la nuit se déroule le swarming ?

Actuellement, on peut définir le swarming comme un phénomène ayant lieu de la mi-août à la mi-octobre avec un pic d’activité globale à la mi-septembre.
Bien que la phénologie (c’est-à-dire l’activité en fonction du climat) semble être différente d’une espèce à l’autre, le pic journalier d’activité semble être aux alentours de 3 à 4 heures après le coucher du soleil. Toutefois l’activité peut être variable d’une nuit à l’autre en fonction de différents critères comme la température maximale en journée ou la pluviométrie.

Quelles sont les caractéristiques principales du phénomène ?

Le swarming est caractérisé par :

  • un grand nombre d’individus,
  • des comportements typique comme la poursuite entre individus, le vol incessant en rond, une quantité importante de cris sociaux ou encore l’accouplement.
  • le sexe-ratio (la différence entre mâle et femelle), largement biaisé en faveur des mâles avec plus de 80 à 95% de mâles lors des regroupements. Il existe toutefois des espèces ou ce ratio est plus équilibré voir parfois biaisé en faveur des femelles, c’est le cas du Grand Murin (Myotis Myotis) ou de la Pipistrelle Commune (Pippistrellus Pippistrellus).
  • Il est également difficile de conclure sur l’âge ratio (car variable en fonction de la période), mais ce dernier reste biaisé en faveur des adultes mais avec une importante présence de juvénile/immature.

Quel est l’intérêt du swarming chez les chiroptères ?

De ces observations se dégagent plusieurs hypothèses de l’intérêt du swarming :

  • Le brassage génétique (diminuant ainsi la consanguinité)
  • L’échange d’informations entre individus
  • Moyen d’apprentissage entre la mère et son petit
  • La prospection de site d’hibernation
  • La possibilité d’utilisation du site comme halte migratoire.

Quelles espèces swarment ?

Il existe toujours un débat afin de déterminer les espèces réalisant le swarming. Il semble dans un premier temps que ce phénomène soit réalisé en majorité par une partie du genre myotis et plecotus c’est-à-dire les Murins et les Oreillards. A cela s’ajoute d’autres espèces comme la Sérotine commune ou encore la Barbastelle d’Europe. Il existe également de fortes suspicions concernant les Minioptères, les Pipistrelles et les Rhinolophes.

Murin de Bechstein © Dietmar NILL

Où se déroule le swarming ?

Concernant les sites de swarming, la bibliographie actuelle semble indiquer que ces sites sont principalement dits « Cavernicoles » : des cavités, des carrières, des falaises, des tunnels ou encore des voûtes. Certaines études semblent indiquer que des vieux bâtiments en pierres pourraient faire office de site de swarming comme des abbayes, d’anciennes glacières ou encore possiblement des monuments historiques. En effet, les critères qui se dégagent afin de définir un bon site de swarming sont des sites majoritairement souterrains, sans activité hydrologique notable, principalement avec de larges voûtes horizontales et riche en ressource alimentaire.

D’où proviennent les chauves-souris ?

Il est important de rappeler que chez les chiroptères, les femelles vivent regroupées formant des maternités, alors que les mâles vivent principalement isolés ou en groupe restreint.

Les femelles peuvent provenir d’une même colonie comme de plusieurs colonies différentes. De manière générale, les femelles parcourent plus de distance que les mâles, plus fidèles aux sites.

Les distances entre les gîtes et les sites de swarming varient en fonction de l’espèce. Elle peut atteindre dans la majorité des cas 10 à 25km. Une exception semble actuellement être observée pour le Murin de Natterer, pouvant dépasser les 60km.

Murin de Natterer © Gilles SAN MARTIN

Quelles méthodes pour étudier le swarming ?

  • Le swarming est majoritairement étudié à l’aide de captures, notamment afin d’identifier l’espèce, déterminer l’âge et le sexe-ratio ou encore le statut reproducteur. Il existe tout de même des limites à cette méthode :

Cette méthode reste réglementée, il faut donc une dérogation spéciale afin de mettre en place une session de capture.

De plus, elle ne peut se faire que quelques jours (puisque cela demande un important effort logistique et humain en ajout de l’obligation de la dérogation), et ne peut être représentatif de toute la saison.

La difficulté d’accès pour certains sites (la majorité des sites étant en cavité).

Enfin une problématique éthique avec le dérangement.

  • L’étude acoustique permettant d’étudier durant la totalité de la nuit et d’obtenir des données sur toute la saison.

Bien que cette méthode ne soit pas intrusive, la problématique réside dans l’identification du groupement d’espèce.

Mais également le temps à consacrer dans les analyses souvent très important.

  • De nouvelles méthodes sont utilisées comme les caméras thermiques et infra-rouge.

Ces méthodes permettent d’améliorer les connaissances sur les caractéristiques comportementales des chiroptères durant le swarm.

Cependant ces méthodes restent rares et le prix est souvent important.

De plus ces méthodes sont principalement complémentaires, pour des études comportementales et ne représentent pas des moyens de remplacer la capture ou l’analyse acoustique.

Et en Picardie ?

En Picardie les connaissances sur le swarming sont encore très lacunaires. Aucune étude d’ampleur n’a pour l’heure été menée mais quelques sites sont déjà connus pour ce phénomène :

Dans le pays de Bray, un ancien tunnel sncf maçonné en brique de près d’un kilomètre de long abrite en hiver environ 500 chiroptères en léthargie. Le site a été étudié pour la première fois en période de swarming en 2017, où une capture menée le 26 septembre a permis de caractériser ce phénomène. Sur les 73 chiroptères capturés, 85% concernaient le groupe des murins. Dans ce groupe, les mâles représentaient 72 % des individus et plus de la moitié de ces mâles étaient sexuellement actifs. Des phénomènes de poursuite entre individus ont également pu être observés aux 2 entrées du tunnel.

En 2021, une étude menée au niveau de la cathédrale d’Amiens a permis d’observer en septembre des comportements de swarming d’au moins une dizaine de Pipistrelles communes. Plusieurs individus ont été observés se poursuivant en vol au niveau des 3 portails de la grande façade occidentale. La caractérisation de ce phénomène de swarming serait à valider par une capture pour identifier le ratio mâles/femelles comme le statut sexuel des mâles.

De nombreux sites souterrains picards abritant des chiroptères en hibernation sont très probablement utilisés par les chauves-souris en fin d’été et à l’automne pour le swarming. Une étude de ces sites à la bonne période est à mener sur plusieurs années pour mieux comprendre ce phénomène dans notre région et ainsi adapter les mesures de préservation de ces derniers en prenant en compte ce phénomène. Ainsi, en septembre 2024 dans le noyonnais, l’un des sites souterrains majeurs pour les chiroptères en hibernation des Hauts de France a été investigué pour étudier ce phénomène. Malgré des conditions de capture peu favorables avec des températures nocturne fraîches, le swarming a pu être caractérisé en observant une forte activité de murins 2 heures après le coucher du soleil, des individus d’une même espèce se poursuivant ont été capturés de manière simultané dans les filets et les mâles actifs sexuellement étaient proportionnellement plus nombreux.

Barbastelle d’Europe ©Ludovic JOUVE

Quelles sont les perspectives pour améliorer nos connaissances du phénomène ?

Comme évoqué plus tôt, il existe de nombreuses hypothèses pouvant expliquer ce phénomène, ces dernières restent non exclusives et à confirmer.

Afin de développer l’étude sur ce phénomène, un groupe de travail a été mis en place dont l’objectif est la réalisation d’une définition commune du phénomène ainsi que celle d’un site de swarming. En complément, la finalité est également la réalisation d’un protocole national pour l’étude de swarming dans le cadre de la plateforme CACCHI (Coordination et Animation de la Capture des Chiroptères) et sur la réalisation d’une méthode de référencement des sites de swarming par l’Observatoire National des Mammifères dans le cadre du PNA (Plan National d’Action) sur les chiroptères. Ces perspectives ont pour but d’aboutir à une politique de protection des sites de swarming afin d’améliorer la conservation et la protection de ces espèces déjà fortement fragilisées.

Augmenter l’effort de prospection local en contribuant à l’aides de nouvelles études peut également permettre de faire avancer de manière importante les connaissances et continuer à développer les protocoles et méthodes d’études.

Le mot de la fin

Comme nous l’avons vu, le swarming reste un phénomène fortement méconnu. Il reste beaucoup d’interrogations à ce jour en suspens ou débattable. Toutefois, le swarming reste une période primordiale pour de nombreuses espèces de chiroptères. De ce fait, et afin d’améliorer la conservation et la protection des chauves-souris, le bénévolat est un levier majeur permettant à l’échelle locale comme national d’améliorer les connaissances sur le terrain.

Aurélien BIRO


Partager : http://l.picnat.fr/tca

Les plus récents

Les plus lus

Picardie Nature

Association régionale de protection de la Nature et de l'Environnement
membre de France Nature Environnement, agréée par les ministères de l'Écologie et de l'Éducation Nationale
Picardie Nature - 233 rue Eloi Morel - 80000 AMIENS - Tél. 03 62 72 22 50