Études et inventaires de terrain

Retour sur les études estivales sur les chiroptères 2024

Publié le 3 octobre 2024 par Ludivine Leite

Étude des chiroptères et des mammifères terrestres des ripisylves

Les ripisylves ou forêts alluviales, sont des habitats offrant de nombreux avantages écosystémiques, à la fois abiotiques (limitation de l’érosion des sols) et biotiques. Cependant, la gestion “subie” par ces milieux induit une forte diminution de leur qualité, tant à l’échelle locale que nationale. Pour permettre d’établir des préconisations visant à améliorer la gestion et donc la qualité des ripisylves, une étude régionale sur 3 ans a débuté en 2023. Financé par l’Agence de l’eau Artois Picardie et la DREAL et coordonné par Picardie Nature, le projet fait appel à plusieurs partenaires pour la réalisation des inventaires (le GON) et pour les analyses génétiques (le GREGE).

Le projet prévu de 2023 à 2025 se base sur le relevé de paramètres typologiques et d’indicateurs biologiques sur 90 tronçons de ripisylves de 500 mètres sur le bassin Artois Picardie. Trente tronçons sont ainsi étudiés par an. Cette année 2024, 2 stagiaires de Master II encadrées par Picardie Nature, Nora Lebarbier et Elea Panserat ont réalisé ces suivis sur 15 tronçons de ripisylves situés dans l’ouest de la Somme et le sud du Pas de Calais. Suite à la pose d’enregistreurs acoustiques passifs sur chaque tronçon (1 nuit d’enregistrement par tronçon répliquée 3 fois), une analyse a été menée afin d’ identifier les corrélations pouvant exister entre les paramètres structurant les ripisylves et la diversité en chiroptères et leur activité.

D’après les données récoltées en 2023 et en 2024, les résultats soulignent l’importance cruciale de la complexité structurelle des ripisylves, caractérisée par des arbres de gros diamètre, la présence de cavités, et d’une végétation diversifiée dans le maintien des populations de chiroptères et plus particulièrement des Murins. En outre, certains paramètres, comme les infrastructures de transport, auraient un impact négatif significatif sur ces populations. Cependant ces résultats partiels restent encore à affiner avec les données de l’année prochaine qui seront indispensables pour apporter aux gestionnaires de cours d’eau des préconisations de gestion. Celles-ci pourront concerner par exemple le volume de bois morts au sol, la largeur moyenne des ripisylves, ou le nombre d’arbres à loges minimal nécessaire pour favoriser la diversité et l’activité des chauves-souris.

Etude du régime alimentaire des chauves-souris en milieu agricole

Cette étude menée en partenariat avec le laboratoire Edysan de l’Université Picardie Jules Verne s’intègre dans les objectifs du Plan Régional d’Actions en faveur des Chiroptères.

Le projet vise à étudier le service écosystémique de régulation des populations de ravageurs offert par les Chiroptères anthropophiles en contexte agricole, et à évaluer l’intensité de ce service dans l’espace et le temps. Pour cela, le régime alimentaire de différentes espèces de chauves-souris est analysé grâce à l’analyse génétique de l’ADN des prédateurs et de leurs proies invertébrées, contenu dans des guanos collectés dans des gîtes situés dans différents paysages agricoles des Hauts-de-France.

Cette approche permettra de comparer la composition du régime alimentaire (ex : proies ravageuses vs auxiliaires de cultures) de différentes espèces de chiroptères, et d’étudier leurs variations en fonction du sexe des individus, mais aussi de la composition et configuration du paysage autour des gîtes où auront été récolté du guano.

Ce projet permettra d’améliorer les connaissances sur l’utilisation des paysages agricoles par les chiroptères (en termes d’habitat et de ressource trophique), mais également de mettre en lumière les éléments paysagers qui vont favoriser de façon durable les services rendus à l’agriculture.

Cette année 2024 a permis de récolter du guano dans 31 gîtes avec l’appui du Conservatoire d’Espaces Naturels des Hauts-de-France et des bénévoles du réseau chauves-souris. 6 espèces sont concernées par les prélèvements de guano dont une majorité de Pipistrelle commune et de Sérotine commune.

Des prélèvements auront lieu sur une trentaine d’autres sites en 2025. Les analyses génétiques des guanos récoltés débutent en 2024 et continueront en 2025 et 2026. Une valorisation des résultats est dores et déjà prévue pour le 1er trimestre 2026 et un élargissement du projet avec l’intégration de nouveaux partenaires est en cours d’étude pour la période 2026-2029.

Suivi des sites témoins estivaux

Un des sites témoins suivis © CEN Hauts de France

Dans le cadre du Plan Régional d’Actions en faveur des chiroptères (PRAC), Picardie nature lance en 2022 les suivis annuels de sites de gîtes d’été représentatifs de la Picardie afin d’obtenir des tendances de populations de Chiroptères à moyen et long terme.

Parmi les sites d’été déjà connus, des sites prioritaires, appelés “sites témoins”, ont été sélectionnés suivant plusieurs critères :
- effectifs totaux importants ;
- sites abritant des espèces au statut menacé sur la liste rouge UICN, des espèces cibles du PRAC et des espèces de l’annexe II de la Directive Habitats Faune-Flore ;
- sites représentatifs des disparités de territoire ;
- sites fonctionnant en réseaux (transfert de population possible d’un site à l’autre).

La liste établie aujourd’hui présente 56 gîtes d’été ou groupe de gîte. Afin de produire des tendances viables pour le futur, les sites doivent être suivis chaque année à la même date ou du moins à la période la plus proche du dernier inventaire et selon la même méthodologie de comptage (dénombrement à vue, sortie de gîte).
En 2024, 48 sites ont pu être suivis . Parmi eux, on retrouve 14 sites dans l’Aisne, 18 pour l’Oise et 24 en Somme. 5 n’ont pas pu être réalisés en raison de problèmes d’organisation interne ou de non réponse des propriétaires. Un tiers des sites témoins sont conventionnés par le CEN ou sous le label “Refuge pour les chiroptères”, contre deux tiers non conventionnés.

Près de 5000 chiroptères de 14 espèces différentes ont ainsi été recensés dans les sites témoins en 2024. Un grand merci aux bénévoles du réseau et aux partenaires (CEN Haut-de-France et ONF) qui se sont mobilisés pour réaliser ces comptages.

Etude du Murin de Bechstein en forêt de Retz

Radiopistage en fôret de Retz © Lucie Dutour

Une étude des espèces forestières menée en 2023 en forêt de Retz avait permis la découverte de 25 arbres gîtes dont 16 utilisés par le Murin de Bechstein, 3 par l’Oreillard roux et 6 par le Murin d’Alcathoe. Dans la continuité de cette étude, Picardie Nature a travaillé en 2024 avec le réseau mammifères de l’ONF spécifiquement sur le Murin de Bechstein afin d’étoffer la connaissance des réseaux de gîtes arboricoles utilisés par l’espèce sur le massif.

Une dizaine de bénévoles de Picardie Nature ont ainsi participé à 5 jours de capture et de radiopistage en juillet encadré par Lucie Dutour, détentrice de l’habilitation à capturer des chauves-souris. Cinq nouveaux arbres gîtes de cette espèce ont ainsi été découverts lors de cette session ce qui a permis aux grimpeurs agréés du réseau mammifères de l’ONF de réaliser des captures d’individus en sortie de gîtes à l’aide de Harp-Trap arboricole.

Cette méthode a permis d’équiper de nouveaux individus avec des balises qui ont mené les prospecteurs vers de nombreux autres arbres gîtes. Le sex-ratio de chaque colonie arboricole a pu être établi ce qui pourra être analysé notamment afin de mieux comprendre le fonctionnement métapopulationnel des colonies. Les résultats de cette étude sont encore en cours d’analyse, ils apporteront des éléments factuels pour une meilleure prise en compte de cette espèce à enjeux dans la gestion forestière du massif.

Etude de la Barbastelle d’Europe dans le nord de la Somme

Etude Barbastelle 2024 © Antoine Pudepièce

Simon Le Deschault, en stage de M2, a réalisé une étude sur la Barbastelle d’Europe dans le nord de la Somme. Malgré de nombreuses perturbations (météo, perte de données,...), il a réussi à mettre en évidence que la Barbastelle d’Europe est présente dans le Nord de la somme de la côte jusqu’à Abbeville et Doullens. Cependant, les captures encadrées par Antoine Pudepièce, détenteur de l’habilitation à capturer des chauves-souris, n’ont pas été très fructueuses et seuls des mâles ont été capturés. Cela semble aller dans le sens des études Allemandes et Belges où les mâles laissent les territoires les plus attractifs (ici, la forêt de Crécy en Ponthieu) aux femelles.

Etude d’un réseau de gîtes de Pipistrelle commune dans l’Aisne

Cette 1ere en France fut possible par l’implication d’un réseau d’acteurs riche : Géodomia et le Conseil Départemental de l’Aisne, le CPIE Pays de l’Aisne, les habitants de Merlieux et Fouquerolles, et les bénévoles et salariés de Picardie Nature.
Quasiment jamais une espèce commune n’est étudiée. Notre objectif : identifier des gîtes utilisés par les espèces liées aux bâtiments, puis établir si les individus se déplacent entre ces différents habitats.
L’espèce cible initiale est la Pipistrelle commune ; son homologue de grande taille, la Sérotine commune, fut également étudiée. Le moyen fut la capture et le radiotracking, et les comptages en sortie de gîtes.

Pipistrelle commune équipée de son émetteur © Sophie Declercq

L’enjeu de connaissance et préservation : mieux documenter les types de gîtes et surtout l’usage de leur réseau par un groupe d’individus. Tous ces bâtiments accueillent toute ou partie de l’année ces espèces, en effectif variable selon leur besoin écologique.
Quand des travaux de rénovation, d’entretien ou d’amélioration thermique sont prévus sur un cortège de bâtiments, c’est dans l’ensemble qu’il faut préserver les accès et espaces pour les chauves-souris. Concentrer les efforts sur un seul bâtiment, celui où l’effectif maximal de chauves-souris a été compté une fois, c’est réduire les possibilités de déplacement des individus dans l’année.
Tout ce travail vient alimenter les réflexions pour l’application de la séquence réglementaire Eviter, Réduire, Compenser.

Des articles complets seront publiés début 2025, mais d’ores et déjà voici quelques scoops :
- de 4 gîtes connus avant l’étude, ce sont 18 gîtes qui furent dénombrés et suivis.
- une Pipistrelle commune a changé de gîtes presque chaque jour durant la première semaine.
- une quinzaine d’autres était plutôt regroupée sous une autre toiture, visibles ; à noter que des changements d’individus ont été constatés chaque jour > ce sont bien plus de 15 individus qui utilisent ce lieu.
- des Pipistrelles communes sont allées chasser à près de 5km, d’usage la biblio mentionne 2 km.
- sur un même bâtiment, différentes espèces sont voisines : dans un grand bardage, d’un côté des Pipistrelles communes, de l’autre des Murins à moustaches. Dans un autre de petite taille, des Pipistrelles communes toujours à côté d’un Murin à oreilles échancrées. Et enfin sur une maison, un côté dédié aux Pipistrelles communes et un autre aux Sérotines communes.
- une Pipistrelle commune fut même retrouvée en gîte dans un arbre !
Bref, de nombreuses découvertes, et autres résultats à publier, sur des espèces communes qui ont encore beaucoup à nous apprendre pour toujours améliorer la protection.

Pipistrelles communes regroupées dans un gîte © Sophie Declercq

Rédactrices : Lucie DUTOUR et Sophie DECLERCQ


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