Protection et cohabitation avec les Chauves-souris

Dépose d’éléments de bâtiment avec des chauves-souris

Publié le 8 avril 2025 par Sophie DECLERCQ

Picardie Nature agit de différentes façons pour la préservation des chauves-souris : médiation Chauves-souris Info, accompagnement de projets et dynamisation d’un réseau d’acteurs pour améliorer la prise en compte des chauves-souris par tous et partout.

Cet article a pour vocation de vous partager nos retours d’expérience sur deux projets :

  • déconstruction d’un ancien moulin :
    • gîtes d’hibernation 10 pipistrelles non déterminées
    • gîte estival : regroupement qu’un quinzaine de Pipistrelle commune, transit de Murin à oreilles échancrées, ainsi que présence de 20 nids d’Hirondelle de fenêtre et 3 d’Hirondelle rustique
  • dépose et repose d’une couverture connue pour héberger en été jusqu’à 168 Pipistrelles communes (toiture sans comble perdu).

Nos principes pour assurer le moindre impact sur les chauves-souris, la réglementation et ERcA imposent :

  • lorsque le projet sur le bâtiment est nécessaire, reconnu d’intérêt, de diagnostiquer et d’accompagner le porteur de projet pour que l’impact sur les chauves-souris soit nul ou minimal, et le cas échéant proposer des mesures compensatoires adaptées et à la hauteur de l’impact.
  • sur notre sujet d’article : qui dit dépose/destruction dit forcément “risque que des chauves-souris soient présentes dans les interstices > risque de blessure ou de mort”
    • nécessité d’adapter le chantier pour :
      • mettre en place des dispositifs d’évitement pour qu’un minimum d’individus soit impacté : qu’au moment où les engins arrivent, les accès aient été bloqués et que les individus présents aient pu sortir.
      • organiser des méthodes plus douces de dépose : sur les zones à enjeux identifiées, intervention manuelle avec chiroptérologue expérimenté à ce type d’intervention
    • nécessité que le chiroptérologue présent :
      • sache et soit habilité à manipuler les chauves-souris, coordination avec le réseau CACCHI
      • sache évaluer l’état général d’un animal dans ces conditions (comportement, poids, allure), savoir de soigneur
      • se soit coordonné avec un centre de sauvegarde pour les chauves-souris qui saura évaluer et conseiller l’action en cas d’individu fébrile ou blessé.

Les deux REXP suivants ont pour but de vous partager la complexité, l’ingéniosité dont font preuve les chauves-souris et donc l’humilité dont tout “expert chiroptérologue” qu’il puisse être, doit faire preuve devant chaque nouveau projet.
Ces deux projets sont encadrés par les arrêtés préfectoraux : intervention sur gîte (cerfa 13_61401), et intervention sur specimen (cerfa 13616-01).

***RETOUR D’EXPERIENCE 1

ANCIENNE FRICHE INDUSTRIELLE : UN MOULIN EN BÉTON DÉSAFFECTÉ
Diagnostic  : gîtes d’hibernation : 58 individus de Pipistrelle commune, gîte estival : regroupement d’une quinzaine de Pipistrelle commune, transit de Murin à oreilles échancrées et 20 nid d’Hirondelle de fenêtre ainsi que 3 nids d’Hirondelle rustique
Calendrier intervention : Préconisée en période de transit, finalement démolition réalisée en début d’année à cause de contraintes de sécurité sur le chantier
Résultat à la dépose : Découverte et sécurisation de 58 individus de Pipistrelle commune lors de la démolition

Dans le cadre d’une sollicitation concernant le projet de démolition totale d’un ancien moulin communal, nous sommes intervenus pour réaliser le diagnostic espèces protégées. Au regard des enjeux découverts, nous accompagnons le projet. Nous avons négocié la conservation de la partie gauche du bâtiment (tour) dédiée à la faune initialement présente et où seront placées les mesures compensatoires.
Malgré tout, le phasage des travaux et de la démolition sont une étape clé pour la préservation des individus et la réussite dans la sauvegarde des espèces. Dans notre cas, les contraintes concernant ce bâtiment étaient nombreuses, notamment en termes de sécurité, liée à la présence d’un seuil en mauvais état (à rénover) contrôlant les niveaux d’eau dans plusieurs communes voisines. La fenêtre de démolition était donc limitée aux périodes avec un niveau d’eau élevé, permettant le maintien du seuil, c’est-à-dire en hiver.
C’est également à cette période que les espèces d’oiseaux présentes sur le site sont les moins impactées (Hirondelle de fenêtre, Hirondelle rustique, Moineau domestique et Troglodyte mignon). La présence d’une maternité d’une quinzaine de Pipistrelles communes est connue sur le site dans des espaces de quelques centimètres entre la solive et le mur, mais en hiver, après une inspection minutieuse du bâtiment, 4 individus sont présents et seulement 2 sont sur la partie vouée à démolition.

Pipistrelle commune dans leur gîte durant la saison 2024 (S.Declercq)

Nous avons alors travaillé avec les entreprises et le porteur de projet, à un protocole pour la démolition que nous pensions le moins impactant possible pour les chauves-souris :

  • contrôle et obturation des espaces lorsque cela est possible
  • dépose douce des planchers en présence d’un chiroptérologue
  • déplacement des individus en sécurité jusqu’à la fin de la démolition. Tout cela était encadré par un dossier de demande de dérogation ainsi qu’un arrêté préfectoral.

La démolition démarre début 2024, avec plusieurs chiroptérologues sur place, formés à la manipulation des chauves-souris ainsi qu’aux premiers soins avec l’équipement que cela implique. En amont le centre de sauvegarde avait été prévenu du chantier et de la possible prise en charge de quelques individus.
Nous découvrons alors sur les poutres en béton, lors de la dépose des planchers, 58 individus profondément endormis. Les chiroptères sont dissimulés au niveau du mortier et entrent dans ces espaces par des failles jusqu’alors invisibles. Ces failles sont liées à l’altération du bâtiment et étaient jusqu’alors dissimulées par les planchers, aucun indice de présence n’y est visible malgré un examen attentif du bâtiment.
Le bâtiment étant encore en démolition lors de ces découvertes, les individus ne pouvant donc être replacés sont redirigés vers le centre de sauvegarde. Initialement contacté pour seulement quelques chauves-souris, c’est au final 10 fois plus d’individus qui y ont été pris en charge.
Pour limiter l’impact sur les animaux, des moyens humains sont mis en œuvre pour venir en aide au centre de sauvegarde et ainsi contenir la surcharge considérable liée à cette arrivée.
Malgré les moyens importants déployés, plus de 50% des chauves-souris n’ont pas survécu à cette hibernation en captivité.
Une fois la démolition achevée, les individus ont été relâchés sur le site au début du printemps. Le site est toujours suivi et la maternité est toujours présente mais l’impact sur la colonie est certainement considérable.
Cet article a pour objectif d’alerter sur la présence quasi systématique de pipistrelles sur les maternités en hiver dans des effectifs parfois inattendus et dans des endroits où les enjeux n’étaient pas pressentis, ainsi que dans des espaces où il était impossible de vérifier même à l’endoscope leur présence.

Conclusion  : nous ne préconisons plus jamais une dépose en hiver sur un site où l’ensemble des espaces ne peut être contrôlé et avec une maternité de Pipistrelles communes en période estivale. Les centres de sauvegarde ne sont pas et ne doivent pas être une solution de facilité pour les chantiers complexes.

Nous remercions la Ville de Péronne et la DDTM pour leur implication.

***RETOUR D’EXPERIENCE 2

CHANGEMENT DE COUVERTURE : DU SHINGLE LAISSE PASSER L’EAU ET DES CHAUVES-SOURIS
Diagnostic  : sur un ensemble de 9 bâtiments, 6 sont utilisés par les chauves-souris cumulant un effectif de 168 individus le 26 juin 2024. Elles utilisent également 3 gîtes en bois installés sur les façades. La population fut détectée en 2022 avec 77 individus.
Travaux : dépose et reconstitution de couverture sur 3 des bâtiments qui s’avèrent être ceux les plus utilisés par les chauves-souris en 2024 : entre 70 et 139 chiroptères.
Calendrier intervention : préconisée dès le 1er septembre jusqu’au 15 novembre (entrée hibernation), la dépose a finalement démarré le 23 octobre (8°C) jusqu’au 8 novembre (5°C). Présence d’1 à 2 chiroptérologues sur 8 journées.
Résultat à la dépose  :
2 chauves-souris trouvées en léthargie le 23/10 dans la couverture, chacune isolée au sein d’une petite loge bien confinée : une Pipistrelle de Nathusius et une Pipistrelle commune (mâles). Après évaluation de leur état général, elles ont été replacées dans des gîtes bois utilisés par les pipistrelles et positionnés sur des bâtiments non sujets à travaux à proximité. Grâce au marquage temporaire, il a été vérifié que la Pipistrelle de Nathusius est partie ailleurs dans la nuit du 23 au 24/10. La Pipistrelle commune a quant à elle changé de gîte et rejoint d’autres congénères pour la journée du 24/10. Le 25/10 elle n’est pas revue.
11 cadavres momifiés.

Conclusion  :

  • Pour les chauves-souris : l’automne est la période de moindre impact ; mais commencer plus tôt aurait-il permis de les contacter en dehors d’une léthargie ? Les systèmes anti retour n’ont pas permis d’éviter l’absence totale d’individus.
  • Pour les chiroptérologues : cela demande de la disponibilité pour se caler au planning journalier du couvreur et de la météo afin d’être présents sur l’ensemble de la dépose. A chaque moment l’idée “Et si on trouve une poche de 50 ?!” traverse l’esprit …
  • Pour le couvreur : le chantier classique aurait duré 2,5 mois. Ici avec le démarrage tardif, il a fallu tout déposer “rapidement”, réaliser une étanchéité sommaire puis poser la couverture de façon pérenne. La reconstitution est également suivie pour vérifier la conservation des accès et volumes des chauves-souris.

A retenir : le réseau de bâtiments offre des conditions variées en types de gîtes. 4 inventaires de mai à juillet révèlent une tendance sur les gîtes les plus utilisés, cependant les écarts sont forts. C’est L’ENSEMBLE DE CE RÉSEAU que les chauves-souris utilisent.
La diversité des microclimats doit y jouer son rôle (étude en cours), ainsi que les tentatives de la Chouette hulotte d’y trouver son repas (piège photo à l’appui !)

Cadre rose : emplacement de la Pipistrelle de Nathusius, et zoom dans sa loge
Cadre jaune : emplacement de la Pipistrelle commune, configuration identique sur l’autre pan
Rive verte : point de repère pour l’autre bâtiment, toiture avec indices de présence ancienne et non avérée pendant les comptages ; après dépose et en cours de reconstitution

Pipistrelle commune sur le tapis pour biométrie rapide, sortant à peine de sa léthargie
Rive bleue : pignon le plus utilisé en 2024 malgré des tentatives de chasse de la Chouette hulotte, avant dépose
Zoom rive bleue à la dépose : intérieur du “gîte” des Pipistrelles communes

Nous remercions les partenaires qui contribuent à ce projet : les équipes du Syndicat Mixte Baie de Somme Grand Littoral Picard et du Parc du Marquenterre, salariés et bénévoles de Picardie Nature, l’équipe de couvreurs, DDTM de la Somme.

Sophie DECLERCQ, Morgan BOULAY


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